28.3.11

" Less is more " Mies van der Rohe

« Less is more. » Formule emblématique de Mies van der Rohe que nous avons entendu au moins une fois dans notre vie. D’où provient-elle ? Quels mouvements l’ont inspirée ? Que signifie-t-elle ?

« Moins est plus », « Moins, c’est plus », « Dépouillement est richesse », tant de traductions qui, à mes yeux, ne donnent pas de réponse claire. Afin d’y remédier, je me suis intéressée dans un premier temps aux mouvements qui l’ont influencée, pour comprendre le contexte dans lequel cette formule a été citée. Dans un deuxième temps, je tenterai d’analyser ce que sous-entendent les termes « less » et « more » en relation directe avec le travail de Ludwig Mies van der Rohe. 



Influences 

En ce qui concerne l’influence de ce dernier, on pourrait citer : Arts & Crafts, le Constructivisme, le Minimalisme et plus globalement le Modernisme. Tous se caractérisent par un antihistoricisme, c'est-à-dire une recherche du nouveau à la fois sociale et esthétique. Je m’explique : face à un monde en perpétuel changement, les artistes vont tenter de créer un mouvement qui reflète cette réalité sociale. Je m’appuierai sur une citation de Robert Morris, un des plus grands représentants du Minimalisme.
  
« Se désengager par rapport à des formes et à des ordres de choses durables et préconçus est un acte positif. Cela fait partie du refus de continuer à esthétiser la forme et à la traiter comme une fin prescrite. » [Robert Morris, in l’Art minimal, Daniel Marzona, éditions Taschen]

Less 

Une nouvelle pensée se met en place. On ne crée plus pour durer mais dans un processus indéterminé, comme la vision de la société qui ne cesse de se développer. On s’adapte en quelque sorte. L’esthétique n‘est plus une priorité. Fonctionnalisme et Rationalisme sont les maîtres mots. Désormais, les formes doivent être simplifiées et un objet doit être utile avant tout. On peut parler d’économie de moyens sans empiéter sur la qualité de la fabrication. Je citerai Robert Morris de nouveau : « Simplicité de forme ne signifie pas nécessairement simplicité de l’expérience ».[Robert Morris, in l’Art minimal, Daniel Marzona, éditions Taschen]
 

Standardisation 

Robert Morris essaye de nous persuader que simplicité des formes ne signifie pas pauvreté de l’objet. Le travail et la réflexion ne se fondent pas exclusivement sur l’objet mais aussi sur l’espace dans lequel il est exposé, c’est un tout. Les objets révèlent l’espace.
D’autre part, on remarquera l’utilisation de nouveaux matériaux usinés, en adéquation avec la production en série. Enfin, l’apparition de la standardisation aura un impact réel sur la production en série. Elle favorise la fabrication et permet la création de produits rentables ; grâce à l’utilisation d’éléments interchangeables d’un produit à l’autre et que l’on peut assembler facilement sans ajustage. Ici, l’Art évolue au même rythme que la société de consommation.

Rationalité 

« Less is more ». Le plus célèbre de tous les éloges du moins. On pourrait le caractériser d’Apollinien, un terme emprunté aux Grecs.  « Les Grecs voyaient en Apollon la personnification de la force souveraine, organisatrice, régulatrice de l'intelligence, qui maîtrise et met en forme l'élan vital représenté par Dionysos ». [Apollon et Dionysos, Pierre Vial] Apollon représente la cohérence, la lucidité, la connaissance. La comparaison est inévitable avec le terme de moins utilisé par Mies van der Rohe. Un moins synonyme de purisme, de dépouillement, d’épuration ; à la fois rigoureux, rationnel et serein. Cette notion de dépouillement est étroitement liée au concept de la structure selon Mies van der Rohe : « Le mot structure a pour nous [en Europe] un sens à la fois spirituel et philosophique. La structure est le tout, […] jusque dans le moindre détail- porté par une seule et même idée. Voila ce que nous «nommons « structure » » [Mies van der Rohe, in Mies van der Rohe, Claire Zimmerman, éditions Taschen] Il exprime ainsi la dématérialisation du volume qui se définit par « une construction à ossature et peau » [Mies van der Rohe, in Mies van der Rohe : Réflexion sur l’Art de bâtir, Fritz Neumeyer, éditions le Moniteur], qui tend à révéler la nature profonde de l’ouvrage. Elle ne garde que l’essentiel. On peut parler d’ « Honnêteté constructive », l’esthétique n’est plus une priorité et la forme est une résultante ; « Form follows function » [Slogan du Bauhaus] : la forme est déterminée par la fonction.

Le Pavillon de Barcelone 


Désormais, l’architecture n’est plus pensée seule, l’environnement, l’espace dans lesquels elle est implantée sont également pris en compte. Le pavillon de Barcelone et notamment la circulation au sein du pavillon, construit à l’occasion de l’Exposition internationale de Barcelone en 1928, est un des exemples les plus flagrants.
« (…) j’ai abandonné le principe habituel des volumes clos. A une série de pièces distinctes j’ai substitué une suite d’espaces ouverts. La paroi perd ici son caractère de clôture et ne sert plus qu’à l’articulation organique de la maison. » [Mies van der Rohe , in Mies van der Rohe : Réflexion sur l’Art de bâtir, Fritz Neumeyer, éditions le Moniteur]







Le plan libre

On ne distingue aucune porte, la circulation est libre. Les parois ne définissent pas un espace mais remplissent simplement leurs fonctions porteuses et divisent l’espace. L’influence de Frank Llyod Wright est bien perceptible à travers cette succession de murs qui mettent en relation l’intérieur et l’extérieur. 
La comparaison avec Le Corbusier ne se ferait attendre lorsque Mies van der Rohe découvre un principe nouveau : le plan libre. Ce principe apporté par le béton armé permet une grande économie des matériaux utilisés. Ce « presque rien » [Chicago : de la modernité en architecture 1950-1985 de Claude Massu, collection Eupalinos] , révèle une intensité rare. Derrière ces éléments simples se cache une véritable réflexion : « God is in the details ». [Slogan de Mies van der Rohe]

More 

Si l’on analyse le moins, qui dans le cas de Mies van der Rohe, est le point d’appui de sa maxime, il serait par ailleurs intéressant de se renseigner sur le plus afin d’élucider l’exactitude de la citation « less is more ».
S’il existe bien deux divinités protectrices de l’Art, il est inconcevable de parler d’Apollon sans citer Dionysos. Dionysos désigne « l'élan vital, spontané, déchaîné » [Apollon et Dionysos de Pierre Vial], un rappel à une part de rêve et d’irrationnel. En vue d’établir une comparaison avec l’aphorisme « less is more », je m’appuierai sur la citation de Robert Venturi « More is not less, less is a bore ». Robert Venturi est un architecte américain qui ne cesse de louer les mérites du plus. Il préconise une architecture favorisant « La richesse et l’unité plus que l’unité et la clarté, la contradiction et la redondance, plus que l’harmonie et la simplicité. » [Citation de Robert Venturi, biographie de Venturi]

Bore 

Son rapport à l’architecture est tout à fait à l’opposé de celui de Mies van der Rohe. Néanmoins il y a un lien entre les deux approches dans la mesure où ils valorisent tous les deux le rapport à la société. D’après Robert Venturi, « less is more » ne peut être cohérent étant donné que le monde urbain est très complexe. De ce fait, si l’on considère que l’architecture est le reflet de ce monde, alors elle ne peut être envisagée que comme compliqué. « Elle est nécessairement complexe et contradictoire par le fait même qu’elle veut satisfaire en même temps ces trois éléments de Vitruve : commodité, solidité et beauté. » [Citation de Robert Venturi, biographie de Venturi] Dès lors, l’architecture moderne, tel que celle de Mies van der Rohe, serait déshumanisée et donc aliénante dans la mesure où elle refuse toutes formes d’ornements. 
Le second reproche fait par Robert Venturi serait la monotonie due à une architecture qualifiée de froide. Voici pourquoi Robert Venturi emploie le terme « bore » qui signifie en anglais ennuyeux. Cette uniformité lassante serait issue du dépouillement énoncé par Mies van der Rohe qui aurait pour résultat une non-communication entre le bâtiment et l’usager potentiel.


« Je ne veux pas être grand, je veux être bien ». Cette phrase marque l’intérêt profond de Mies van der Rohe à construire de manière juste, sans superflu quel qu’il soit. Chaque élément est pensé et soigneusement élaboré à tel point qu’on parle de « méditation d’une rare intensité » à propos de son architecture.
Lorsque Robert Venturi déclare « less is a bore » en réponse à la maxime de Mies van der Rohe, il met en avant le mouvement postmoderniste qui favorise la richesse, la complexité et la contradiction. De ces éléments germeront une notion importante, le symbolisme, cher à Venturi. Le symbolisme sera caractérisé comme point de friction entre les deux aphorismes en question.
Finalement que choisir entre les deux extrêmes ? Un entre deux serait-il possible ? Ou est-ce que ici, de même que dans la « Naissance de la Tragédie » de Nietzsche, une fusion entre Apollon et Dionysos et alors une réconciliation entre « Less is more » et « Less is a bore » est-elle possible ?


Bibliographie

. Mies van der Rohe de Claire Zimmermen, édition Taschen.
. Art minimal de Daniel Marzona, édition Taschen.
. Design handbook de Charlotte & Peter Fiell, édition Taschen.
. Looking for Mies de Ricardo Daza, édition Actar.
. Conversaciones con Mies van der Rohe , édition Gustavo Gili.
. Mies van der Rohe : Réflexion sur l’Art de bâtir de Fritz Neumeyer, édition le Moniteur.
. North Carolina University State College of Agriculture and Engineering, School of Design Student Publication, n°2, 1952, p.28.
. Chicago : de la modernité en architecture 1950-1985 de Claude Massu, collection Eupalinos.
. Learning from Las Vegas, Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour. .Paris ressuscité d’Olivier Griette, edition l’Age d’Homme.
. L’Art, effacement et surgissement des figures : Hommage à Marc le Bot de Marc le Bot, publications la Sorbonne. . L’Architecture et le philosophe d’Antonia Soulez, édition Mardaga.
. Mies van der Rohe de Jean-Louis Cohen, édition Hazan.
. Apollon et Dionysos de Pierre Vial (recherche Google)
.Théorie de l’architecture du professeur Bruno Marchand (recherche Google)
. Le plan libre – Le corbusier (recherche Google)
. Le vide contre l’espace de Robert Venturi, Denis Scott Brown (recherche Google)
. Architectures minimales de Bernard Oudin (recherche Google)
.Initiation à l’esthétique : ch5- L’esthétique industrielle (recherche Google)
. Description d’un espace rayonnant : le pavillon de Barcelone de Mies van der Rohe de Jean-Pierre Marchand.


 Alix Guillot 3B

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